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six mois — comme qui dirait à Pâques et Noël — à tous les hommes au-delà de vingt-cinq ans, à toutes les filles et femmes ayant dépassé seize ans. Est-ce trop s’avancer de prétendre que la théologie des Amahuac entrevoyait le dogme de la transsubstantiation et le formulait déjà par à peu près ? Et que si on ne l’eut pas violemment et presque soudainement extirpée, elle n’eût pas manqué de se convertir à l’hostie chrétienne, admirant et sa théorie savante et son maniement pratique ?

La religion du Pérou semble avoir reproduit sous une forme plus adoucie les principaux dogmes qui avaient trouvé créance sur les hauts plateaux du Mexique. Suivant la tradition des Mayas, le maïs fut en son temps fils du Soleil et de la première femme, un beau jeune homme que Pacha-Camac tua et écartela, répandant ses débris par la terre. À la grande fête de Raymi, l’Inca distribuait à la cour, à la ville, à tout le peuple, des gâteaux de maïs qu’avaient pétris les Vierges du Soleil, en mélangeant la pâte avec du sang de lamas — avec du sang de petits enfants, affirme Rivero — et des courriers en portaient aussitôt de larges tranches aux provinces les plus éloignées.

Les Peaux-Rouges avaient aussi leur légende du dieu Maïs qu’ils mangeaient, mais parce qu’il le voulait bien. Vêtu de vert, aigrette jaune au chef, Mondamin fut un superbe jouvenceau, noble héros qui du ciel descendit tout exprès afin de se faire immoler par Hiawatha et nourrir de son corps les hommes affamés, mais, avant de mourir il procréa un fils, ancêtre des Indiens. Ils ont en lui leur père et leur préservateur qui, non content de leur avoir donné la vie une première fois au début des siècles, leur continue l’existence d’année en année.

Les gâteaux sacrés, sous figure de divinités, qu’on mangeait un peu partout à des fêtes déterminées, avaient même origine et même signification. De ces pratiques on pourrait donner une énumération copieuse, nous nous en tiendrons à quelques exemples.

On reprochait à la tribu arabe des Henifou, comme on le fait aujourd’hui aux Tsiganes de Roumanie, de manger son Dieu en temps de famine… La vérité est, sans doute, qu’elle le mangeait en tout temps, et particulièrement à la récolte nouvelle.

Le prophète Jérémie faisait aux femmes juives de sanglants reproches parce qu’elles offraient à la Reine des Cieux des gâteaux sur lesquels elle était représentée.