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LE PAIN

Hauran, le Hauran d’avant l’Islam, qui célébrait une lugubre fête, dans laquelle les initiés mangeaient d’un pain qu’il eût été mort à un esclave de toucher, crime à une femme de regarder, et dans lequel entraient la chair et le sang d’un enfant, triste symbole. Ce sont les mystères du Schémal, dont les participants se partageaient la chair, enfarinée, d’un petit garçon.

Tous ces rites ne peuvent manquer d’être apparentés aux orgies de la Thrace et de la Phrygie, à celles de Dyonisos Omestes ou Mange-Cru et du Zagreus que déchirèrent les Titans, et dont Jupiter et Sémélé se partagèrent le cœur pantelant, qui, avalé par eux, renaît une seconde fois à la vie. Ils tiennent de près aux bacchanales romaines qui faillirent, paraît-il, faire sombrer la République en de honteuses débauches, et qui, étouffées mais non point extirpées, par de terrioles exécutions faites en secret, se perpétuèrent silencieusement dans les bas-fonds de la plèbe et les hauts sommets du patriciat, côté des femmes. C’est ainsi qu’on arriva à la révolution chrétienne, dont les agapes nous paraissent avoir été des fêtes dyonisiques, vulgarisées et amoindries.


Transformations des sacrifices faits aux dieux anthropophages, l’Eucharistie et les banquets dyonisiques sont par cela même un des moyens qu’employèrent le bon sens et la pitié qui se réveillèrent enfin, pour écarter peu à peu la coutume hideuse. Au lieu et place de l’homme, on substitua le pain, qui était, par théorie, de même nature, puisqu’une même vie animait l’un et l’autre ; sans compter qu’il était facile de donner à la pâte la forme approchée des victimes. De là, tous ces gâteaux qui, en des milliers d’occasions, remplacèrent tout les hommes que les animaux, et même les dieux et déesses qui eussent dû être égorgés sur l’autel. Dans tous les pays civilisés, la même histoire se répète avec de légères variantes.

Hercule traversait l’Italie, ramenant les bœufs de Géryon… Outré de voir des têtes humaines jetées devant les images de Dis et de Saturne, il expliqua que les dieux n’avaient pas été compris et qu’ils se contenteraient fort bien de figures de pâte… Le Dis et le Saturne italiotes étaient des divinités chthoniques, servies par des populations agricoles. De cette légende d’Her-