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LE PAIN

cule, comme point de départ, on pourrait établir assez facilement que les pains et corbeilles de gâteaux qu’en maint endroit on enfouit dans les sillons pour leur conserver la fertilité, ou la leur rendre quand ils l’ont perdue, sont une substitution aux sacrifices humains, aux sanglantes mériahs dont nous avons déjà dit un mot, et qui malheureusement ne sont pas déjà, tant s’en faut, le fait exclusif des Khonds d’aujourd’hui, ou des Mexicains d’autrefois. Les Mexicains eux-mêmes auxquels leurs boucheries humaines ont donné une si triste célébrité, quand tomba leur confédération, étaient sur la voie de les abolir. M. Tyler indique comment, aux divinités protectrices des eaux et des montagnes, les temples immolaient des hommes vivants, et les particuliers des bonshommes de pâte, auxquels ils faisaient mine d’arracher le cœur de la poitrine, de trancher la tête, puis les membres et de se partager les morceaux qu’ils avalaient jusqu’aux derniers.

… L’ingénieux ministre Tchou Ko Liang ramenait du Pégou son armée victorieuse quand il se vit arrêter à la frontière de Chine par un épais brouillard au-dessus du fleuve, d’où sortaient de vagues plaintes, des gémissements indistincts. Il s’enquit de la cause. C’étaient les cris poussés par une multitude de malheureux qui avaient perdu la vie dans les eaux d’où s’échappaient constamment des vapeurs empoisonnées. Le général fut informé qu’il ne pourrait traverser, s’il ne sacrifiait sept fois sept hommes au génie de la rivière. Tchou Ko Liang révolté de cette barbarie, imagina d’apprêter des pains ayant forme humaine, munis d’une tête et d’un bras ; il jeta quarante-neuf de ces bonshommes dans les eaux, et tout aussitôt le brouillard se dissipa. Depuis on n’a plus offert que de cette pâtisserie aux génies aquatiques.

De même dans les Indes où la répulsion contre les sanglants sacrifices brahmaniques fut probablement une des causes marquantes de la révolution morale qui, sous le nom de bouddhisme, influa profondément sur une notable partie de l’espèce humaine, le Yagour Veda indique, ainsi que suit, la série décroissante des sacrifices : « À l’origine les dieux avaient accepté l’homme comme l’animal du sacrifice. Mais le Médha — la force magique — s’éloigna de l’homme et entra dans le cheval. Voici que le Médha quitta le cheval pour le bœuf. Du bœuf, le Médha émigra dans la brebis, de la brebis dans la chèvre et de la chèvre dans le sol. Alors les dieux se tinrent