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le pain

Cette doctrine de la transsubstantiation est commune au deux plus grandes fractions de la chrétienté, à l’Église romaine orthodoxe, et à l’Église grecque non moins orthodoxe, qui l’a pleinement sanctionnée au synode de Jerusalem en 1672. L’Église anglicane accepta de l’Église romaine, sans modification apparente, le « très confortable sacrement du corps et du sang de Christ, notre nourriture spirituelle ». L’Église luthérienne hérita aussi du meme dogme, mais appela consubstantiation ce que l’autre appelait transsubstantiation. Il s’ensuivit une controverse à laquelle on comprend seulement les injures que les polémistes se jetèrent réciproquement à la tête.

Quoi qu’il en soit, qu’il s’agisse de consubstantiation ou de transsubstantiation, ce dogme est la clef de voûte de tout l’édifice chrétien. Nous pouvons en croire Saint-Francois de Sales, une autorité certainement compétente, qui en son langage fleuri appelle l’eucharistie « mystère ineffable dans lequel les anges voudraient regarder, soleil des exercices spirituels, cœur de la devotion, âme de la piété et centre de la religion ». Centre du christianisme assurément, tout comme la doctrine de la pierre philosophale est le grand secret de la magie. L’une transforme la farine en Dieu et Dieu en farine, l’autre change le plomb en or et l’or en plomb. La magie et la religion prétendent accaparer l’omniscience et l’omnipotence par la metamorphose ad libitum des substances les plus incongrues. Les deux sœurs ennemies ont même point de départ et même point d’arrivée, seulement l’une chemine par la droite et l’autre a pris la gauche. Leur principe identique, elles le développent, l’expliquent et l’exploitent, la religion suivant le mode spirituel et la magie suivant le mode matériel. Chacune peut le revendiquer comme lui appartenant en propre. Seulement on est bien obligé de reconnaître que l’Église étant en possession du pouvoir et de la richesse, ayant la direction officielle des esprits, a fait porter sur son sujet favori les méditations de ses plus ingénieux docteurs et professeurs et toute la force philosophique du moyen-âge, tandis que la magie, meme la magie blanche et l’alchimie, n’ont été cultivées que par des individus isolés, généralement mal vus et suspects, qu’on enfermait souvent, qu’on torturait et brûlait de temps à autre. L’Église avait l’instinct de la situation, elle sentait confusément ce qui n’a pas manqué d’arriver : de l’alchimie devait naître la chimie.