Autre observation :
« Il se faisait tard. Nous devisions encore dans la hutte quand éclata un cri retentissant. Rapides comme la pensée, mes Inoïts sautèrent de leurs sièges, se jetèrent sur les longs couteaux qui se trouvaient par là, les fourrèrent dans une cachette. À peine avaient-ils repris place qu’un angakok se glissa en rampant par l’étroite entrée. Se traînant sur les genoux, il tâtait devant lui, et tout aveuglé par une tignasse qui lui ravalait les yeux et le visage, il fouillait dans le garde-manger. N’y trouvant pas ce qu’il cherchait, il tourna tête sur queue, se retira sans desserrer les dents. Je demandai :
« –Et s’il avait trouvé un couteau ?
« –Un couteau ? il s’en serait donné quelque part. Ils ont de ces idées-là. Ça les prend de temps en temps. »
Quand le novice a tout à fait dépouillé le vieil homme, fait de son corps le temple d’un esprit[1], ou de plusieurs, car il en peut héberger légion, il appelle par son nom le génie de son choix, le somme de prendre chez lui domicile. Si par dix fois il le conjurait inutilement, il renoncerait au métier, car sans tornac il n’y a ni prophétie ni miracle. Ce n’est pas à dire qu’il eût perdu tout son temps et sa peine. Les études, la forte discipline par lesquelles il a passé, lui vaudront toujours respect et influence. Et voici comment s’obtient l’inspiration.
L’esprit invoqué fait rencontrer à son protégé un animal démonique : fouine, loutre ou blaireau[2], pour qu’il le tue, l’écorche et revête sa dépouille, grâce à laquelle il obtient la faculté de « courir », à l’instar de nos garous et versipelles. Il s’appropriera, comme un trésor, la langue de la bête, en fera sa « médecine », son grigri personnel.