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prestige du sorcier.

car la mesure du temps est autre en bas, autre en haut. Pendant ce séjour, ils acquièrent des facultés extraordinaires et une intelligence transcendante, ils se transforment de chenille en papillon. Quand ils en ont appris assez, la baleine dégorge sur la plage ces autres Jonas.

Toutes les initiations étant accomplies, les éducations faites et parfaites, le magicien prend le nom d’angakok qui signifie « le Grand » ou « l’Ancien », s’offre au peuple comme guide et instructeur. Dépourvu de tout pouvoir officiel, il est consulté en toute affaire importante et son conseil est toujours suivi. Chacun pourrait le braver, aurait droit à le contredire, mais personne n’ose ou ne s’en soucie. D’attribution spéciale, il n’en a point ; mais il cumule toutes les influences : conseiller public, juge de paix, expert universel, arbitre en affaires publiques et privées, artiste en tout genre, poète, comédien, bouffon. Réputé pour génie, et pour fou, tout au moins, son intelligence passe pour tremper aux sources divines, et communiquer avec les puissances supérieures. Il comprend tout le monde, personne ne prétend le deviner. En dernière analyse, son pouvoir est celui d’un esprit supérieur sur les esprits obtus ; son secret est celui de la Galigaï : l’ascendant d’une volonté forte sur une volonté faible. Il suffit qu’il soit supérieur, incontestablement supérieur, pour que son entourage lui attribue la toute-puissance. Il est médecin, parce que prêtre et thaumaturge, parce qu’il a maints démons dans le cerveau, le cœur, le foie et les reins. À lui d’être le Grand Pourvoyeur du peuple, d’attirer à l’encontre de la fourche et de l’épieu tant le gibier de terre que le gibier de mer ; à lui de faire agir la pierre[1],

  1. Tchimkieh.