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les inoïts occidentaux.

—  Sur ce point, nous ne pouvons offrir que des conjectures. La dent, la pièce la plus résistante de l’organisme, et que l’on retrouvait encore dans la cendre des bûchers, quand les os avaient disparu, la dent passe chez plusieurs peuples primitifs pour être un siège de la vie. Les rapaces ont leur force dans la mâchoire que les philosophes de la Nature comparaient à deux bras céphaliques. Les molaires des victimes abattues à la guerre ou à la chasse, faisaient le plus superbe collier que le héros des temps jadis pût offrir à sa belle. La vipère concentre dans ses crochets sa vie et sa colère, y verse l’essence de son chyle et de ses humeurs, pourquoi l’homme n’en ferait-il pas autant ? Le sorcier n’a-t-il pas la dent venimeuse, lui aussi ?


On raconte d’autres choses non moins étonnantes. Les sorciers changeraient de sexe à leur gré, s’arracheraient un œil pour l’avaler ensuite, s’enfonceraient un couteau dans la poitrine sans se faire grand mal[1]. Ils passeraient de la sorte par la mort, ce qu’ils croient le plus sérieusement du monde avoir déjà fait plusieurs fois, dans les conditions les plus héroïques, et même les plus extravagantes, nous permettrons-nous d’ajouter. Ils vont au bord de la mer, appellent à eux un ours ou un morse, mais de préférence la Grande Baleine, laquelle ils contraignent, par incantations, à ouvrir une large gueule dans laquelle ils se précipitent. L’orque côtoie maint rivage, visite des îles nombreuses, puis plonge dans le gouffre qui conduit au Paradis boréal, où ils contempleront à loisir les mystères de l’autre monde. Combien de temps y séjournent-ils ? Ils ne le savent pas eux-mêmes,

  1. Krause, Geographische Blaetter, 1881.