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les inoïts occidentaux.

franchir un pont, pas plus large qu’une lame de couteau. Que de dangers, que de fatigues avant d’arriver à la porte gardée par des chiens monstrueux ! Les âmes se guident par les sons d’un tambour magique qui résonne dans le lointain ; tant pis pour celles qui se dévoient, dévorées par des animaux fantastiques, plus elles ne reparaissent. Cependant la majeure partie touche au port et va se loger sous la croûte de terre qu’elle habitait quand elle avait un corps. Aléouts, Koloches, Taïtanes, tous ont leur canton souterrain.

Combien plus facile la montée du ciel, vers lequel l’âme n’a qu’à se laisser aller, en flottant comme une fumée ! Mais les gens de cœur réprouvent cette mollesse, préfèrent affronter les épouvantes du chemin lugubre. De peur que le mourant ne défaille au dernier moment, les amis l’arrachent à sa couche, le déposent à terre, et tout vivant, lui plaquent la figure contre le sol, comme pour lui donner la première impulsion vers le chemin d’en bas. Qui ne peinerait pour gagner ces régions inférieures, où, dans les salles toujours tièdes et lumineuses d’un kajim immense résonnent les tambourins éternels ! Autour des énormes piliers sur lesquels la terre est fondée, on saute, on joue aux barres, on représente de splendides ballets. Et ces festins ! ces mangaries ! et les cétacés, et les cachalots, — prodigieux autant que le Léviathan du banquet d’Abraham, — qu’engloutiront les âmes esquimaudes ![1]

Quelle différence entre l’Enfer souterrain, séjour de liesse, et l’atmosphère, autre Océan, mais aux profondeurs stériles, déserts immenses, hantés par la Famine ! Les âmes flottent dans les nuages, errent dolentes, affamées, transies,

  1. Même récompense leur était dévolue par les Mexicains.