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les inoïts orientaux.

la chicorée et qu’il ait un petit goût de son[1], nous ne pouvons nous représenter ce repas sans malaise, mais c’est le cas de répéter l’axiome, que des goûts et couleurs il ne faut discuter. Lubbock suggère avec vraisemblance que cette idiosyncrasie s’explique par le besoin, qui s’impose aux Inoïts, d’assaisonner par quelques particules végétales les viandes pesantes dont ils chargent leur estomac. Du reste, le capitaine Hall en a tâté, et déclare qu’il n’est rien de meilleur. La première fois qu’il en mangea, ce fut dans l’obscurité, et sans savoir ce qu’il se mettait sous la dent :

« C’était délicieux, et ça fondait dans la bouche… de l’ambroisie avec un soupçon d’oseille… » Mais voici le menu : « Première entrée, un foie de phoque, cru et encore chaud, dont chaque convive eut son fragment, enveloppé dans du lard. Au second service, des côtelettes, d’une tendreté à nulle autre pareille, dégouttantes de sang, rien de plus exquis… Enfin, quoi ? des tripes que l’hôtesse dévidait entre ses doigts, mètre après mètre, et débitait par longueurs de deux à trois pieds. On me passait comme si je n’appréciais pas ce morceau délicat, mais je le savais aussi bien que personne : tout est bon dans le phoque. Je m’emparai d’un de ces rubans que je déroulai entre les dents, à la mode arctique, et m’écriai : « Encore ! Encore ! » — Cela fit sensation, les vieilles dames s’enthousiasmèrent… »

Ces amateurs se pourlèchent les babines de myrtilles et framboises écrasées dans une huile rance ; ils savourent le lard de baleine coupé en tranches alternées, des blanches et fraîches avec des noires et putrides. Bouchée de roi, un hachis de foie cru, saupoudré d’asticots grouillants. Frian-

  1. Clarke, Voyages.