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les inoïts orientaux.

L’existence des sociétés comme celle des individus dépend, disions-nous, des aliments mis à leur disposition ; selon que cette quantité augmente, la population s’accroît. Mais si la nourriture devient insuffisante, manifestement insuffisante, force est de se débarrasser des bouches inutiles, non-valeurs sociales. La « vivende » est retranchée à ceux qui ont la moindre vie devant eux ; le droit de vivre est la possibilité de vivre. Dans ces conditions, le meurtre des enfants a pour triste complément celui des vieillards ; on abandonne ceux-ci, on expose ceux-là. Telle est la règle contre laquelle ces malheureuses sociétés se débattent comme elles peuvent. Quand il faut choisir, les unes perdent les enfants et même des femmes pour sauver les vieillards, chez les autres tous les vieillards y passent avant qu’il soit touché à une tête blonde. Le plus souvent, les grands-parents réclament comme un droit, ou comme une faveur, d’être immolés aux lieu et place des petits. Qu’il nous suffise d’avoir énoncé la loi, sans l’appuyer par les exemples qu’en pourraient donner nos ancêtres et de nombreux primitifs. Maudirait-on la cruauté de ces hordes et peuplades qui ne sont pas arrivées à être humaines ? Combien souvent elles préféreraient se montrer compatissantes… si elles en avaient le moyen ! Il va de soi que la plupart du temps les malades sont assimilés aux vieillards, puisqu’ils vivent comme eux sur la masse qui ne dispose que de courtes rations.

Tant que l’on conserve quelque espoir, on s’empresse autour du malade. Les femmes en chœur psalmodient leur Aya Aya, car elles connaissent la puissance des incantations. La matrone met sous le chevet une pierre de deux à trois kilogrammes, dont le poids est proportionnel à la gravité de la maladie. Chaque matin elle la pèse en