Page:Recueil de l'Académie des jeux floraux 1818.djvu/21

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
xj

Et montre avec orgueil à l’Inde consternée
La poupe des vainqueurs de lauriers couronnée.
Ainsi, de son exil oubliant tous les maux,
Son âme se console en chantant un héros,
Et, fruit de son malheur, un sublime poëme
Illustre sa patrie en l’illustrant lui-même.
Tu fus dans tes chagrins bien plus à plaindre encor.
Toi, qui de tes pensers vis enchaîner l’essor,
Toi, poëte captif, dont la voix suppliante
Demandait du travail la douceur bienfaisante.
Cette main qui peignit Armide, Godefroi,
Tancrède, et tous les preux défenseurs de la foi,
On la charge de fers ; et faible, défaillante,
Elle trace en tremblant cette plainte éloquente :
Il ne suffit donc pas que je sois enchaîné,
Que je sois sans secours, proscrit, abandonné !
Accusant le malheur d’un prétendu délire,
Mes ennemis encor m’ont empêché d’écrire ![1]
Pour ses nobles travaux que de regrets touchants !
Permettez-lui l’étude, il n’a plus de tourments.
Vous qui privez de tout un grand peintre, un poëte,
Ah ! rendez-lui du moins son pinceau, sa palette,
Et, quand vous l’accablez de peines et de maux,
Daignez lui pardonner des chefs-d’œuvre nouveaux ;
Que du moins un rayon de sa gloire future
Puisse luire à ses yeux dans sa prison obscure ;
Puisse-t-il, préludant à l’immortalité,
Reposer ses regards sur la postérité,
Et voir les nations, chacune en son langage,
Conquérir les beautés de son sublime ouvrage.
Que tes lauriers au-moins consolent ta douleur.
Poëte de Sorrente : un jour le voyageur
Verra, plein de respect, ce lieu cher au Parnasse,
Le tombeau de Virgile et le berceau du Tasse.

  1. S’esser privo délia cognizione delle cose del mondo, de’secreti trattenimènti, e della fede vicendévole d ell’amictzia, dovrebbon parer pene convenevoli, senza che a tante sciagure s’agiungesse l’iufermità, la meudicità, è sopra tutto la privation dello scrivere.
    (Discours du Tasse au Cardinal de Gonzague.)