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tère ; c’est sur lui que se discutera toujours le principe de l’indépendance; et, si jamais l’incommensurable et épaisse légion qui oppresse l’art, l’art des hommes, reconnaissait enfin la nécessité de bâtir, dans la démocratique engeance de la moyenne, une annexe pour les entiers, les indéfectibles, Degas aurait droit à son nom inscrit au haut du temple. Respect ici, respect absolu.



1892, Avril. — A un publiciste du journal “Le Jour”.

L’appréciation que vous avez formulée sur mes ouvrages, à l’occasion de l’Exposition des Peintres-Graveurs m’est agréable vivement. Vous êtes le premier à signaler, enfin, qu’ils ont au moins le mérite d’être constitués selon les lois de la nature même.

Je vous avoue que de tels travaux, condamnés forcément à des inégalités de facture, à des tâtonnements, à cause de leur source diffuse, qui est, en somme, un idéal indéterminé, ces travaux ne soutiendraient pas deux fois l’analyse s’ils n’étaient pas façonnés selon les lois de la vie du monde extérieur.

Je crois avoir été toujours peintre, sensitivement peintre, surtout dans les fusains et lithographies, et même avoir montré quelquefois le goût des substances. Si non, tout ce que j’ai fait ne vaut rien.

Ceux qui, par leurs écrits ou leurs dires, ont révélé ce que leur suggère à l’esprit ce qu’il apparaît de mystérieux m’ont donné de l’étonnement et la surprise de choses venues hors de moi, à l’insu de ma volonté. Mais vous m’attribuez heureusement le « tact des valeurs ». Or, elles sont pour nous, sans vous les définir, une des ressources du visible, et l’appui le plus solide de notre art dans sa réalisation. En affirmant ce que vous m’attribuez là, vous allez droit au cœur d’un ouvrier qui, depuis longtemps, croit avoir rendu son rêve sensible par ce simulacre du vrai.