Aller au contenu

Page:Redon - À soi-même, 1922.djvu/104

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
96

très aiguë, autant et plus que ne le serait la passion elle-même. Elle est un danger, un bienfait pour qui la sait prendre.

Je veux dire que son charme est irrésistible, et l’on s’évade en esprit avec elle si promptement dans un monde meilleur que l’on peut quelquefois, sans délibérer ni raisonner, différer à plus tard l’accomplissement de certains actes ennuyeux qui nous sont nécessaires : « Marthe, Marthe, je ne t’ai jamais oubliée et t’aime plus que Marie. C’est elle qui me détourne de toi, à son heure quand elle vient. Je ne l’appelle pas. »



J’aime les fillettes ; je vois en elles toute la femme sans y trouver une femme, et c’est exquis.

Celui qui compliquerait cet aveu et l’accueillerait d’un sourire ne saurait pas ce qui réside en la grâce. La grâce est révélatrice d’infinies virtuosités et d’une vie en puissance qui fait le charme de l’esprit, par les yeux.

Quand j’étais tout enfant, je m’en souviens, combien je fus impressionné par elles. La première fois, dans le jardin de la maison où je suis né (à Bordeaux, allées d’Amour). Elle était blonde, avec de grands yeux et les cheveux en longues boucles tombant sur sa robe de mousseline, qui me frôla. Je connus un frisson, j’avais douze ans, j’allais faire ma première communion. Et le hasard voulût qu’elle fût près de moi lors des retraites, à l’église, sous le mystère des voûtes de Saint-Seurin. Que d’émotions s’y mêlèrent : tout l’art aussi de ce décor. Heures bénies, reviendrez-vous jamais dans le mystère de l’Inconnu ?



1901. — O mon âme d’autrefois, âme lointaine, tu m’es revenue ce soir dans des ombres.