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malheur sera toujours de se tenir un peu trop dans le recueillement d’une discrétion silencieuse. Allons à elles ; cherchons à les mieux comprendre, par une analyse plus profonde de leurs productions. Mais si l’on doute, si l’on hésite encore sur la juste appréciation de cet artiste que Bordeaux possède déjà depuis quelques années, il est pourtant un choix d’amateurs sérieux qui n’ont pas hésité longtemps pour estimer à sa juste valeur cette personnalité si intéressante ; nous croyons fort que leur estime lui prépare pour l’avenir les justes approbations qui lui sont dues.


DELACROIX

1878 — À mesure qu’il poursuit l’accomplissement de son œuvre, au cours de sa bruyante carrière, il tend de plus en plus à réaliser son dessin par une représentation plus prompte et active du corps humain. Il faut au début des études attentives du modèle : le robuste et puissant relief qu’il y obtient en témoigne (notamment dans la Barque de Dante), mais ce n’est que plus tard qu’il s’inquiète de l’ossature, de la contexture proprement dite, et qu’il regarde l’homme dans ce qu’il a de permanent et d’essentiel. On dit que ce ne fut qu’à l’âge de soixante ans qu’il posséda un squelette. Il avoue alors que, s’il lui était possible de recommencer l’étude de la peinture, il débuterait par cette étude-là. Le beau dessin qu’il fit au crayon pour la décoration de la Chambre des Députés, le dessin de l’Éducation d’Achille, prouve avec évidence qu’il avait alors le sens représentatif du corps humain bien autrement qu’en sa jeunesse : on y assiste au mouvement de la vie elle-même comme si elle palpitait sous un épiderme de cristal. Cela est particulier chez lui : à mesure qu’il analyse la nature, qu’il la scrute et la décompose, il ne perd pas un seul moment le sentiment qu’il a si intense et vif de la vie, de la passion, il la créa toujours ; là est sa