Cette œuvre si puissante, si forte parce qu’elle est nouvelle, est tout un poème, une symphonie. L’attribut qui définit chaque dieu devient inutile, tant la couleur se charge de tout dire et d’exprimer juste ; le reste de tradition qu’il conserve encore, pour la clarté, est inutile.
C’est ainsi qu’il procède encore quand il travaille la petite coupole du Sénat et en le plus grand nombre de ses tableaux de chevalets.
Comparons maintenant par la pensée un tableau de l’école passée, la Noce de Cana par exemple, avec cette page essentiellement nouvelle. Pouvons-nous y trouver une place aussi grande donnée à l’idée ? Elle n’y est point. Venise, Parme, Vérone n’ont vu la couleur que par le côté matériel. Delacroix seul touche à la couleur morale, à la couleur humaine ; c’est là son œuvre, et ses titres à la postérité.
On ne peut chercher si ce grand poète a atteint la perfection ; disons que l’artiste audacieux qui agrandissait et menait l’idéal de la peinture ne pouvait atteindre d’un seul élan à l’expression la plus parfaite ; il obéissait ainsi à la loi qui dirige tous les novateurs. Les artistes qui touchent à la perfection n’ont pas beaucoup d’idées. Il n’y a pas d’exemple à donner dans l’histoire de l’art. Delacroix croit que la neuvième symphonie n’est point parfaite ; l’introduction des voix manque de lien avec le sentiment qui pénètre ; s’il touche à la perfection, disons alors que la musique, cet art d’une muse souveraine et supérieure, n’avait pas à combiner les formes nouvelles dans des moyens plus difficiles et plus rigoureux de la plastique.
Disons-le, sans rien enlever de l’idée que nous nous faisons de sa haute mission, Delacroix ne devait pas atteindre à la perfection ; mais cela ne nous empêche pas de condamner sans regret le passé des coloristes proprement dits ; que les jeunes élèves émus et enthousiasmés en présence du maître n’aillent au Louvre désormais que pour y chercher la force d’un art purement plastique ayant