Page:Regnard - Œuvres complètes, tome troisième, 1820.djvu/46

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Moi, j’allai cependant, sans tarder davantage,
Porter nourrir l’enfant dans un lointain village.
Un pauvre paysan, que l’or sut engager,
De ce fardeau pour moi voulut bien se charger.
Je lui dis que l’enfant de moi tenoit naissance,
Qu’il devoit avec soin élever son enfance :
Je lui cachai toujours son nom et son pays.
Le pâtre crût enfin tout ce que je lui dis.
Quinze ans se sont passés depuis cette aventure.
Votre mère a payé les droits à la nature ;
Et depuis ce long temps aucun mortel, je crois,
N’a pu de cette fille avoir ni vent ni voix.

ismène.

Je sais depuis longtemps ce que tu viens de dire ;
Ta bouche avoit déjà pris soin de m’en instruire ;
Ce souvenir encore augmente ma terreur,
Et vient justifier le trouble de mon cœur.
N’as-tu point remarqué qu’au retour de la chasse,
Le roi, rêveur, distrait, a paru tout de glace ?
Ses regards inquiets m’ont dit son embarras :
II sembloit m’éviter et détourner ses pas.
Ah, Cléanthis ! Je crains que quelque amour nouvelle
Ne lui fasse…

cléanthis.

Ne lui fasse…Ah ! Voilà l’ordinaire querelle.
C’est une étrange chose ! Il faut que les amants
Soient toujours de leurs maux
les premiers instruments.
Qu’un homme par hasard ait détourné la vue
Sur quelque objet nouveau qui passe dans la rue ;