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Mais le meilleur de son œuvre consista en ses découvertes durant sa période de clairvoyance. La philosophie biologique de sa période d’aveugle a eu un succès éphémère et ne mérite pas d’être retenue.

Il en est autrement de Lamarck.

Lamarck (1744-1829) est d’une part un esprit intuitif, spéculatif et systématique, de l’autre observateur et classificateur[1]. Il fut d’abord disciple de Buffon. Pourtant il se refusa longtemps à adopter ses systèmes et les combattit même. Après avoir étudié la Météorologie, il s’orienta vers la Botanique et satisfit ainsi son goût de collectionneur. Élève de Bernard de Jussieu, il fixa pour la détermination des plantes, la clé dichotomique ; en 1778, sa première œuvre, la Flore française, fut imprimée aux frais du roi. En 1781-1782 il voyagea à l’étranger avec le fils de Buffon. À son retour il dut, pour gagner sa vie, collaborer à des entreprises de librairie : nouvelle édition de l’Encyclopédie méthodique de Pankouke avec le dictionnaire de botanique qu’il comporte. En 1789 il obtint la place de « garde des herbiers du cabinet » ; mais les deux conservateurs attitrés, Desfontaines et Laurent des Jussieu, protestèrent contre sa nomination, et lui interdirent l’entrée de l’herbier[2].

N’ayant à sa disposition ni matériaux de recherche, ni laboratoire, il se lança dans les spéculations physiques, chimiques, météorologiques. À son époque, cet universalisme n’était point pour étonner. Ces sciences étant petites, peu nourries de faits, et pouvant aisément se laisser embrasser entières par un seul esprit.

En 1793 il obtint un nouveau champ d’observations et de recherches : il fut nommé à la chaire des invertébrés, alors qu’il frisait la cinquantaine ! Il reprit, en l’affectant à d’autres êtres, son ancien travail de classement des herbiers, tout en continuant ses spéculations dans les autres sciences. Il y avait en lui deux personnalités, l’une d’un observateur méticuleux, collectionneur et classificateur précis, l’autre d’un généralisateur et philosophe. Il avait sans doute pris ce goût des spéculations à ses maîtres du collège des Jésuites d’Amiens où il fut élevé.

Il n’y réussit guère, défendant les vieilles idées qu’il avait apprises dans son enfance. Il défendit la théorie du Phlogistique contre Lavoisier et crut réfuter la nouvelle théorie pneumatique (1796), En météorologie,

  1. Mentionnons, pour l’écarter, le jugement de Cuvier sur lui : « Lamarck devint spéculatif quand il eut son existence assurée » (Éloge historique de Lamarck dans les Mémoires de l’Académie des Sciences t. XXII. 1835). Comme le dit Ch. Martin, cet éloge de Cuvier « inaugure les éreintements » (Un naturaliste philosophe ; Revue des Deux Mondes, mars 1873). En réalité Lamarck eut toujours un esprit spéculatif, il s’adonna uniquement aux spéculations quand il ne put plus faire autrement de par sa cécité.
  2. Pour plus de détails, sur sa biographie, voir Landrieu : Marcel Lamarck, Paris, 1909.