Page:Regnault - Des infirmités des organes des sens dans la production des œuvres de génie, paru dans les Bulletins et Mémoires de la Société d’Anthropologie de Paris, 1928.djvu/7

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Plusieurs ont changé et amélioré leur production après que leur vue se fut altérée.

Des naturalistes ont été frappés de cécité qui firent encore des découvertes.

Un cas unique est celui d’Hubert François, (1750-1831)[1]. Dès l’âge de 15 ans sa vue déclina parce que souvent il lisait la nuit à la clarté d’une lampe ou même de la lune. Comme il avait de la fortune, il put observer les abeilles avec les yeux d’un autre. Il donnait ses idées à Burnens, son domestique devenu bientôt son ami ; celui-ci suivait ses instructions et savait voir, car leur collaboration réalisa de grandes découvertes.

De même, l’aveugle se fait conduire par le paralytique qu’il porte sur son dos, un général aveugle gagne des victoires parce que son État-Major le renseigne et qu’il combine d’après leurs données.

Au XVe siècle, Jean Ziska continua à battre les Impériaux quand de borgne il passa aveugle[2].

De même certains joueurs d’échecs mènent et gagnent plusieurs parties les yeux bandés, si leurs adversaires leur disent les pièces qu’ils jouent.

Dans tous ces cas, l’infirmité est corrigée, le cerveau continue à fonctionner comme auparavant.

Tous autres sont les cas de Ch. Bonnet et de Lamarck. Leur infirmité influença la nature de leurs productions.

Tant qu’ils y virent, ils furent observateurs, et s’illustrèrent comme tels. Quand ils n’y virent plus, ils se tournèrent vers la philosophie de la science qu’ils avaient cultivée et firent admirer leur esprit généralisateur et synthétique[3].

Charles Bonnet (1720-1793) élève de Réaumur, fut, dès l’âge de 20 ans, un observateur hors ligne. Il découvrit la reproduction agame des pucerons, celle par division des polypes et des vers, observa la respiration des feuilles, etc. En 1745, il publia un traité d’insectologie, en 1754, des recherches sur le rôle des feuilles dans la plante.

Une maladie d’yeux l’obligea alors à suspendre ses recherches. Il tourna son esprit vers la philosophie zoologique, écrivit : Un Essai de Psychologie (1754) ; un Essai analytique des facultés de l’âme (1760) ; les Contemplations de la Nature (1764) ; la Palingénésie philosophique (1770) ; des Recherches philosophiques sur les principes chrétiens (1773).

Il développa surtout la loi de l’échelle des êtres qu’il croyait continue sans interruptions. Cet observateur, une fois aveugle, devient métaphysicien.

  1. Il fut fils d’Hubert Jean (722-1790) qui étudia le vol des oiseaux au point de vue de l’aviation et père de Hubert Pierre (1777-1840) qui étudia les mœurs des fourmis.
  2. Peut être pourrait-on rapprocher le cas du général Davoust, qui s’est illustré sous le premier empire. Il était très myope.
  3. Signalons encore que Buffon avait une forte myopie, et qu’Étienne Geoffroy Saint-Hilaire devint aveugle dans les dernières années de sa vie (1840-1844).