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CHAPITRE VII
JE ME FAUFILE À BORD


Comment faire cependant pour m’introduire à bord et m’y cacher ? Ce n’était pas facile. Je pouvais sans doute monter sur le pont, comme je l’avais déjà fait ; mais je serais certainement aperçu par quelqu’un de l’équipage et chassé de nouveau.

Ah ! si je pouvais suborner un des matelots, obtenir son concours !… Mais avec quoi le payer ? Je ne possédais pas un décime.

J’avais une montre, assez commune, il est vrai, une vieille montre d’argent qui n’avait pas grande valeur, quoiqu’elle marchât assez bien. Elle me venait de ma pauvre mère qui m’en avait laissé aussi une autre bien meilleure, que mon oncle s’était appropriée. J’avais la permission de porter la vieille, et, heureusement pour moi, elle se trouvait dans mon gousset. Si je l’offrais à Waters ou à un de ses compagnons, consentirait-il à m’embarquer en contrebande et à me cacher jusqu’à ce que le navire fût au large ? Ce n’était pas impossible. À tout hasard je résolus d’essayer.

La principale difficulté serait sans doute de me trouver seul avec Waters ou un autre des matelots, afin de lui communiquer mes intentions. Pour y réussir, je résolus de flâner près de l’Inca et de guetter les hommes qui descendraient à terre.

Je ne désespérais pas, du reste, de pouvoir me faufiler à bord tout seul, après le coucher du soleil, quand les hommes, leur journée faite, seraient en bas, à l’avant. Dans ce cas, je n’avais besoin de confier mes projets à personne. À la faveur de l’obscurité, je pensais pouvoir grimper sur le plat-bord, sans être aperçu par l’homme de quart, puis me glisser en rampant jusqu’à la cale et y descendre. Une fois là, rien de plus facile que de me cacher au milieu des tonneaux et des caisses. Mais le navire resterait-il au port jusqu’à la nuit ? Et les gens de mon oncle ne me trouveraient-ils point avant que je me fusse introduit à bord ?

La première question ne m’inquiétait guère. L’écriteau était encore à la même place : « L’Inca, pour le Pérou, demain. » Il n’était donc pas probable que le navire levât l’ancre ce jour-là. Restait le danger d’être repris et emmené à la maison. Après réflexion, il ne me parut point imminent. Les gens de la ferme ne s’apercevraient pas de mon absence avant la brune, ou, s’ils s’en apercevaient, ils attendraient la nuit pour se mettre à ma recherche. Ils penseraient vraisemblablement que l’heure du souper me ramènerait au logis. Après tout, je n’avais nulle raison de m’inquiéter à ce sujet ; sans y penser davantage, je m’occupai des dispositions à prendre pour mener mon entreprise à bonne fin.

Je n’étais pas sans prévoir qu’une fois à bord il me faudrait y rester caché au moins vingt-quatre heures, peut-être beaucoup plus, et naturellement je ne pouvais pas demeurer aussi longtemps sans manger. Mais comment me procurer des provisions ? Comme je vous l’ai déjà dit, je n’avais pas un sou pour acheter des vivres, et je ne connaissais personne à qui m’adresser pour en avoir.

C’est alors que l’idée de vendre mon sloop vint fort à propos me tirer d’embarras. Il ne pouvait plus désormais m’être d’aucun usage. Autant valait-il m’en défaire sur-le-champ.

Sans plus de réflexion, je quittai mon asile de caisses et de tonneaux, et je m’avançai le long du quai à la recherche d’un acheteur. Je l’eus bientôt trouvé : une sorte de bazar maritime s’offrit à mes regards ; j’y entrai et, après un court débat avec le propriétaire, je conclus le marché pour un shilling.