Page:Reid - Aventures de terre et de mer, Hetzel, 1891.djvu/660

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

cours. Je regardai autour de moi et j’appelai à l’aide de toutes mes forces ; mais personne ne semblait être à ma portée.

À la fin, mes assaillants s’aperçurent de mon épuisement et, à un signal donné par le spectre, ils se précipitèrent tous ensemble sur moi !… Ils m’attaquaient par devant, par derrière, de chaque côté… C’est en vain que, dans un effort désespéré, je frappais autour de moi : la place de tous ceux que je réussissais à repousser était immédiatement remplie par d’autres qui les suivaient.

Je ne pouvais plus continuer une résistance inutile : je sentais les rats me grimper sur les jambes, sur les cuisses, sur le dos ; j’en étais tout couvert, comme une branche d’arbre par un essaim d’abeilles, et avant qu’ils eussent le temps d’entamer ma chair, leur poids me fit chanceler et tomber pesamment sur le sol. Cette chute parut me sauver ; à peine fus-je à terre que les rats lâchèrent prise et décampèrent, comme s’ils étaient effrayés de l’effet qu’ils avaient produit.

Agréablement surpris de ce dénouement, je fus quelques minutes sans pouvoir me l’expliquer ; mais, revenant bientôt à moi, je compris avec joie que je sortais d’un rêve dont m’avait tiré la chute que j’avais cru faire.

L’instant d’après pourtant, ma joie s’envola aussi vite qu’elle était venue. Tout n’était pas un songe ; des rats m’avaient réellement grimpé sur le corps, et à ce moment il y en avait encore dans ma chambre. Je les entendais gambader et crier, et, avant que je pusse me relever, l’un d’eux me courut sur la face. C’était pour moi un nouveau sujet d’alarme. Comment avaient-ils fait pour entrer ? Avaient-ils refoulé ma jaquette ? Je tâtai ; elle était à sa place, juste comme je l’avais mise. Je la retirai pour frapper autour de moi et chasser les intrus. À force de coups et de clameurs, j’y réussis encore ; mais j’étais plus terrifié que jamais, car je ne pouvais m’expliquer comment ils avaient pu venir jusqu’à moi, malgré les précautions que j’avais prises.

Je demeurai longtemps perplexe ; mais je finis par trouver le mot de l’énigme. Ils n’étaient pas entrés par l’ouverture que j’avais condamnée avec ma jaquette ; c’était par une autre, bouchée seulement par un tampon d’étoffe qu’ils avaient déchiré à belles dents.

Cette découverte ne fit qu’augmenter mon inquiétude. Pourquoi ces animaux mettaient-ils tant d’obstination à revenir ? Pourquoi préféraient-ils ma cachette à toute autre partie du navire ? Que voulaient-ils, si ce n’est me tuer et me dévorer ? Vraiment je ne pouvais trouver aucun autre motif à leur persistance à m’assaillir.

La crainte d’un pareil dénouement réveilla toute mon énergie. Je n’avais pas dormi plus d’une heure ; impossible cependant de songer à me rendormir avant d’avoir mis ma forteresse en meilleur état de défense. J’enlevai un à un tous les tampons des ouvertures et je les replaçai plus solidement. Je pris même la peine de retirer de la caisse deux ou trois nouvelles pièces d’étoffe pour rendre mon tamponnement plus efficace. Il y avait autour de la caisse de nombreuses anfractuosités irrégulières, très difficiles à bien boucher ; j’y parvins en plaçant debout un rouleau d’étoffe qui remplissait exactement l’espace par lequel je m’étais introduit le jour où j’avais eu le malheur de mettre le pied à bord. Toutefois, ce rouleau avait l’inconvénient de m’empêcher d’arriver facilement à ma caisse de biscuits dont il masquait le couvercle ; mais j’avais fait cette remarque avant de le mettre en place et j’avais retiré une provision de biscuits suffisante pour une ou deux semaines. Cette provision épuisée, je pouvais enlever le rouleau, et, avant que les rats eussent le temps d’envahir ma cabine, m’approvisionner pour une autre semaine.

Quand tout me parut disposé à souhait, je m’étendis sur ma couche, très certain cette fois de faire un bon somme.