Page:Reid - Le Cheval sauvage, 1888.djvu/47

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
44
LE CHEVAL SAUVAGE.

loin qu’il le veut un buffle qui a toute sa croissance ; il se jette sur l’homme à cheval ou à pied, et l’on raconte que parfois une douzaine de chasseurs ne parviennent pas à lui tenir tête. Dix, quinze, vingt balles tirées sur un ours gris ne le mettent pas hors de combat. Il faut l’atteindre au cerveau ou au cœur pour lui donner la mort. Il n’est donc pas surprenant qu’un animal qui a la vie si dure et l’instinct si féroce soit très redouté. Heureusement, le cheval a sur lui l’avantage de la course et l’homme celui de pouvoir grimper sur les arbres, l’ours gris, contrairement aux autres, n’ayant pas cette agilité. Bien des voyageurs dans les pampas, en danger de mort certaine, n’ont trouvé leur salut que dans cette unique supériorité.

Aucun de ces détails de l’histoire naturelle de l’ours n’était nouveau pour moi. Aussi l’on se figure quelles étaient mes angoisses en voyant à quelques pas de moi un des plus formidables et des plus féroces de ces fauves dans ces plaines nues où j’étais seul, à pied, et pour ainsi dire désarmé. Il n’y avait pas un buisson où j’eusse pu me cacher, pas un arbre sur lequel j’eusse pu me réfugier. Je n’avais pour tout moyen de défense que mon couteau, car j’avais laissé, vous vous le rappelez, mon fusil de l’autre côté du gouffre, et je ne pouvais songer à aller le chercher. En supposant même que j’eusse pu arriver jusqu’au sentier qui dévalait de la paroi rocheuse, c’eût été une vraie folie que de vouloir tenter cette descente, car si l’ours n’est pas grimpeur, il n’en avait pas moins à l’aide de ses longues pattes gravi la pente plus vite que moi. D’ailleurs, il me barrait le chemin et, pour aller au gouffre, je devais commencer par me jeter littéralement dans les bras du monstre.

Un seul regard porté autour de moi suffit pour me démontrer combien ma situation était désespérée. Je