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LE CHEVAL SAUVAGE.

être, en continuant de suivre le gouffre, trouverais-je plus loin un autre passage ?

Je réfléchissais à ce projet et j’allais me décider à l’exécuter, lorsque j’eus un tressaillement d’horreur. L’ours venait de reparaître. Seulement il n’était plus du côté où je me trouvais. Il avait escaladé l’autre paroi du gouffre et s’avançait maintenant vers l’endroit où paissait ma jument. Le monstre, debout, la gueule ouverte, se préparait à fondre sur sa proie. J’avais attaché la pauvre bête à quatre cents pas environ du gouffre, et le lasso qui la retenait avait près de vingt yards de long. À la vue de l’ours, la jument avait fui aussi loin que la lanière le lui permettait ; elle ruait, se cabrait et hennissait d’épouvante.

L’ours se précipita vers elle. Mon cœur battait violemment. Le monstre était maintenant si proche qu’il n’avait plus qu’à étendre les pattes pour la saisir. La jument fit un bond désespéré et décrivit au galop un cercle dont le lasso formait le rayon, tandis que l’ours courait d’un point à l’autre pour tâcher de s’en emparer.

Cette scène se prolongea durant quelques minutes sans que la situation relative des deux adversaires se trouvât sensiblement modifiée. Déjà j’avais l’espoir que l’ours, de guerre lasse, renoncerait à ses vaines tentatives, et abandonnerait la partie, d’autant plus que la jument lui avait adressé plusieurs ruades qui avaient effrayé l’agresseur, quand tout à coup le spectacle changea, et la lutte prit une autre tournure. L’ours avait déjà été fouetté à différentes reprises par le lasso ; au lieu de l’écarter, il le saisissait et le tirait à lui avec les dents et avec les griffes. Je crus d’abord qu’il voulait l’arracher ou le rompre en le mordant ; mais j’eus bientôt la conviction qu’il usait d’un autre artifice : à chaque fois qu’il le reprenait, il se laissait couler, sans le lâcher, de manière à se rapprocher de