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LES SALONS.


entrailles ne s’en soient émues, n’en aient tressailli, et que les larmes ne m’en soient venues aux yeux. » Et puis, tout à coup, il me fait un conte, « parce qu’un conte et un propos plaisant valent mieux que cent mauvais tableaux et que le mal qu’on en pourrait dire » ; ou il déclame à pleine voix, à la manière de Perse, une satire révolutionnaire contre le luxe ; ou il m’explique encore par un apologue pourquoi les amis d’un peintre, dont le talent diminue en raison de l’étendue de sa toile, cherchent en vain à réchauffer et à l’animer de concepts plus hauts : « Un jour Roland prit un capucin par la barbe et, après l’avoir bien fait tourner, il le jeta à deux milles de là où il ne tomba qu’un capucin. »

Reconnaissez-vous la muse du poète qu’une pierre arrête et qui poursuit tous les papillons ?


Quand arriverons-nous si nous marchons ainsi ?…


Hé ! que t’importe d’arriver si tu n’es pas l’Anglais qui court le monde pour vérifier la nature sur son Guide ; je voyage avec Diderot pour voyager.

La première qualité du touriste qui raconte ses promenades est de bien voir ; la deuxième de faire bien voir ce qu’il a vu. Diderot a l’œil très clair et la mémoire très sûre. Quand il allait au Salon, il prenait ses notes sur de petits bouts de papier dont il remplissait ses poches, mais il les prenait avec une telle précision et ses souvenirs étaient si fidèles que, rédigeant son compte rendu assez longtemps,