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LES SALONS.


accrues. Il ne me suffit plus alors que la femme nue qu’il a liée au rocher soit bien dessinée, bien modelée, bien peinte et bien éclairée ; il faut encore que, frissonnant de peur à l’approche du monstre, ou de joie à l’arrivée de Persée, elle réponde par sa beauté, son mouvement, son attitude et son émotion, à l’idée que l’artiste m’a annoncée par l’étiquette de son tableau et qu’il a évoquée dans mon esprit nourri de mythologie. En résumé, pourvu que l’exécution soit parfaite, libre à lui de ne me montrer qu’une tête de vieille mendiante, un bœuf à l’étal ou un simple chaudron. Rembrandt et Chardin n’ont pas eu d’autres sujets pour des tableaux qui sont des chefs-d’œuvre. Mais quand l’artiste m’annonce la Vénus ou la Madeleine, alors la seule beauté de l’exécution ne me suffit plus et je hausse mes exigences au niveau même de sa prétention.

Est-ce ainsi qu’il faut comprendre le sujet ? En tout cas, ce n’est pas ainsi que Diderot le comprend. Alors que pour les Italiens de la Renaissance, le véritable objet de l’art, c’est le corps humain, c’est de bien faire un homme et une femme nus, pour lui, c’est l’histoire et même l’historiette ; il faut une action pour l’intéresser. La forme, chez lui, est toujours étouffée par l’idée, comme un arbre par une végétation de lianes. Il veut d’abord qu’un tableau fasse penser. Au début du Salon de 1767, il dialogue avec Naigeon : « Que dites-vous de tout cela ? — Rien. — Comment, rien ? — Non, rien, rien du tout : est-ce que cela fait penser ? » Penser, penser