Page:Reinach - Diderot, 1894.djvu/138

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
130
DIDEROT.


être à leur place. » Il regarde ainsi, en louchant, toutes les Vénus et toutes les Galatées. Le faune en rut, la main tendue à l’affût des blondes tresses, poursuivant, comme le chasseur la biche, la nymphe dans le taillis et la napée sous l’onde, le faune, jeune, ardent et beau, n’a rien qui répugne : il est dieu, il est une force, une force de la nature. Or Diderot n’est point cet Ægipan, c’est Silène fatigué. Même plus jeune, malgré ses amplifications de rhétoricien sur la statuaire grecque et romaine, a-t-il éprouvé le beau et noble sentiment antique du nu ? Il sait assurément ce qui distingue le déshabillé du nu ; peut-être même a-t-il été le premier à formuler cette vérité devenue banale :


Une femme nue n’est point indécente, c’est une femme troussée qui l’est… Supposez devant vous la Venus de Médicis et dites-nous si sa nudité vous offensera. Mais chaussez les pieds de cette Vénus de deux petites mules brodées ; attachez sur son genou, avec des jarretières couleur de rose, un bas blanc bien tiré ; ajustez sur sa tête un bout de cornette ; et vous sentirez la différence du décent et de l’indécent. C’est la différence d’une femme qu’on voit et d’une femme qui se montre.


Mais c’est seulement son intelligence qui découvre à Diderot ces vérités ; il ne les sent point dans les profondeurs de son être, et, les exposant, il reste graveleux. Dans le domaine de l’art, l’instinct est supérieur à l’intelligence. Ce protagoniste ardent et souvent magnifique de la nature n’a pas réussi à s’émanciper de son siècle ; il reste essentiellement, comme lui, raffiné et corrompu. Les prétendues