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LES SALONS.


vierges de Greuze n’ont de l’innocence que le ragoût du fruit vert : il se délecte à ce piment. Et quand il proteste, toujours, bien entendu, au nom de la morale, sans subir la magie de leur art, contre les blondes visions de Fragonard et de Boucher, sa protestation, copieusement et lourdement descriptive, est cent fois plus indécente que la polissonnerie dont il s’effarouche, dieu des jardins vieilli qui se voilerait la face devant une gamine au bain. Pour désigner les différentes parties du corps humain, même devant un tableau de sainteté, il va toujours à l’expression la plus triviale, la plus sale, qui lui paraît « la plus simple ». Il éprouve régulièrement un besoin maladif de traduire en français l’épithète de la Vénus Callipyge. De sa source à son embouchure, ce grand fleuve ne cesse pas de rouler l’ordure dans le cristal.

Si l’on est curieux de chercher la cause de tant d’inutile grossièreté, il faut la trouver dans une vérité qui a l’apparence du paradoxe : c’est que Diderot, naturaliste et matérialiste en philosophie, est spiritualiste en art au lieu d’être sensualiste. L’artiste, en effet, ne voit dans les formes que des formes : « Après cela, dit Cellini, tu dessineras l’os appelé sacrum ; il est très beau ». Qu’est-ce que Cellini trouvait de beau dans le sacrum ? Cela ne se définit point, cela se sent et Diderot ne le sent pas. Une belle nudité n’inspire à l’artiste que le sentiment, qui est très pur, du beau, des belles lignes, des belles formes. Diderot, devant le nu, cherche