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DIDEROT.


entre la médiocrité et la bizarrerie, le plagiat et l’extravagance. Enfin, si nous sommes décidément amenés à ne plus employer au théâtre que la langue même dont nous nous servons tous les jours, ; pourquoi ne pas faire un pas de plus dans cette voie de la nature et ne point emprunter désormais le sujet de nos tragédies aux douleurs qui sont voisines de nous et aux malheurs qui nous environnent ?


Quoi ? vous ne concevez pas l’effet que produiraient sur vous une scène réelle, des habits vrais, des discours proportionnés aux actions, des actions simples, des dangers dont il est impossible que vous n’ayez tremblé pour vos parents, vos amis, pour vous-même ? Un renversement de fortune, la crainte de l’ignominie, les suites de la misère, une passion qui conduit l’homme à la ruine, de la ruine au désespoir, du désespoir à une mort violente, ne sont pas des événements rares ; et vous croyez qu’ils ne vous affecteraient pas autant que la mort fabuleuse du tyran ou le sacrifice d’un enfant aux autels des dieux d’Athènes et de Rome ?


Voilà donc le terme de la savante progression : Diderot, ne s’adressant d’abord qu’aux comédiens, leur a commandé au nom de la nature de marcher et de parler comme tout le monde ; mais, partant, il est indispensable que les poètes, eux aussi, ne s’inspirent que de la nature, où les hommes ne parlent pas en vers, où les passions ne soufflent pas seulement sur les sommets historiques ; et le jour où il a décrété ainsi ces nouveautés, sous prétexte de revenir à la simplicité de l’art, c’est le théâtre moderne qu’il a fondé. La scène, jusqu’à lui, était divisée en deux compartiments : l’un, la tragédie.