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DIDEROT.


leur et le même succès ? Très chaud à la première représentation, il serait épuisé et froid comme un marbre à la troisième. S’il est lui quand il joue, comment cessera-t-il d’être lui ? S’il veut cesser d’être lui, comment saisira-t-il ce point juste auquel il faut qu’il se place et s’arrête ? L’acteur qui joue d’âme est ainsi condamné à l’inégalité ; son jeu est alternativement fort et faible, chaud et froid, plat et sublime ; il manquera demain l’endroit où il aura excellé aujourd’hui ; il excellera dans celui qu’il aura manqué la veille. » Le comédien, au contraire, qui joue de réflexion, sera le même à toutes les représentations ; tout a été mesuré, combiné, appris, ordonné dans sa tête ; il ne sera plus journalier ; c’est une glace toujours disposée à montrer les objets et à les montrer avec la même précision, la même force et la même vérité. La sensibilité ne va jamais sans faiblesse et cette faiblesse apparaît surtout au feu de la rampe.


Eh quoi ? dira-t-on, ces accents si plaintifs, si douloureux, que cette mère arrache du fond de ses entrailles et dont les miennes sont si violemment secouées, ce n’est pas le sentiment actuel qui les produit, ce n’est pas le désespoir qui les inspire ? Nullement ; et la preuve, c’est qu’ils sont mesurés ; qu’ils font partie d’un système de déclamation ; que, plus bas ou plus aigus de la vingtième partie d’un quart de ton, ils sont faux ; qu’ils sont soumis à une loi d’unité ; qu’ils sont, comme dans l’harmonie, préparés et causés ; qu’ils ne satisfont à toutes les conditions requises que par une longue étude ; qu’ils concourent à la solution d’un problème proposé ; que, pour être poussés juste, ils ont été répétés cent fois, et que, malgré ces fréquentes répétitions, on les manque encore… Ce tremblement de la voix, ces mots suspendus, ces