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THÉÂTRE.


sons étouffés ou traînés, ce frémissement des membres, ce vacillement des genoux, ces évanouissements, ces fureurs, pure imitation, leçon recordée d’avance, grimace pathétique, singerie sublime dont il garde le souvenir longtemps après l’avoir étudiée, dont il avait la conscience présente au moment où il l’exécutait, qui lui laisse toute la liberté de son esprit. Le socque ou le cothurne déposé, sa voix est éteinte, il éprouve une extrême fatigue, il va changer de linge ou se coucher ; mais il ne lui reste ni trouble, ni douleur, ni mélancolie, ni affaissement d’âme. C’est vous qui remportez toutes ces impressions.

Qu’est-ce donc qu’un grand acteur « sinon un persifleur tragique ou comique à qui le poète a dicté son discours » ?

La solution du Paradoxe n’est-elle pas trop absolue et ne faut-il vraiment « nulle sensibilité » au comédien ? Dans les lettres à la jeune actrice qui lui demande des conseils tant sur sa conduite que sur son art, le philosophe est moins sévère. Il ne lui commande pas une sorte de vertu presque incompatible avec son état, les mœurs d’une vestale ou la morale des capucines du Marais ; il l’engage seulement, avec un sage et affectueux cynisme, à n’avoir qu’un amant à la fois, à le choisir homme de mérite pour n’avoir point à en rougir, à lui rester fidèle le plus longtemps qu’elle pourra. Si « cette demi-vertu, c’est la vérité », et s’il n’y a pas autre chose à demander à une comédienne quand elle est déjà jeune et jolie et qu’elle a du talent, ne serait-il pas plus juste aussi et plus naturel de n’exiger du comédien qu’une demi-insensibilité ? S’il est exact de dire que les cris de la douleur doivent être notés dans la mémoire de l’acteur et qu’il doit