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DENIS DIDEROT.


par an pour élever ses enfants, « parce qu’il ne peut vivre dans cette atmosphère de domesticité et que son visage y devient plus jaune qu’un citron » ; et le lendemain du jour où il a rejeté ce collier et ce luxe, il risque le pilori à escroquer cinquante louis à un carme ; le surlendemain, un certain mardi-gras, sans une voisine compatissante, il mourait de faim dans son taudis. Cette insouciance des conditions matérielles de la vie n’est dérangée, sinon interrompue, que par son mariage : « Combien de démarches auxquelles on se résout pour sa femme et pour ses enfants et qu’on dédaignerait pour soi ! Je rencontre sur mon chemin une femme belle comme un ange ; j’en ai quatre enfants ; et me voilà forcé d’abandonner les mathématiques que j’aimais, Homère et Virgile que je portais toujours dans ma poche, le théâtre pour lequel j’avais du goût, trop heureux d’entreprendre l’Encyclopédie à laquelle j’aurai sacrifié vingt-cinq ans de ma vie. » En effet, à partir de ce mariage d’amour, il commence à imposer un travail régulier à son humeur vagabonde, et, bientôt, lui aussi aura son bureau où il va gagner le pain quotidien de sa nichée, cette Encyclopédie dont il sera l’âme et qui fera sa gloire, mais où il ne vit d’abord qu’un moyen d’assurer douze cents livres de rente à la famille qui lui est tombée du ciel. Pourtant, cet état qu’il s’est enfin décidé de prendre au service des libraires n’absorbe qu’une partie de son existence et de ses facultés. Quand Diderot se plaint d’avoir sacrifié les