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Page:Reinach - Diderot, 1894.djvu/216

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DIDEROT.


renouvelés qu’elle dévore, la machine a couru sans accident ; maintenant elle ne se met plus en marche qu’avec peine, et s’essouffle, sitôt en mouvement. « Mon père, écrit Mme de Vandeul, trouvait sa tête usée ; il disait qu’il n’avait plus d’idées ; il était toujours las. » Il lutte, se plonge dans le bain de Jouvence de nouvelles lectures, fouette son cerveau ; mais le résultat ne répond plus à l’effort. L’interminable Essai sur les règnes de Claude et de Néron mêle et brouille, dans un désordre irritant, Paris et Rome, les Césars et Louis XV, Jean-Jacques et Suilius, l’histoire et le pamphlet, l’apologie de Diderot et le panégyrique de Sénèque. Le génie créateur s’endort lentement dans la pénombre grandissante du crépuscule, et la flamme intérieure s’éteint avec le soleil qui descend à l’horizon.

Une grande douleur lui avait été infligée : la compagne intellectuelle de sa vie, Sophie Volland, était morte.

Quelle était cette femme ? de quelle famille ? où l’avait-il rencontrée ? On ignore la date de sa naissance et jusqu’à celle de sa mort. Il a existé d’elle deux portraits que Diderot ne quittait jamais ; tous deux sont perdus. Mais ce que l’on sait, c’est que du jour où Diderot l’avait connue, « elle fut la seule femme qu’il y eut au monde pour lui ». Ce violent, qui avait pris pendant vingt ans le plaisir pour l’amour, dès qu’il se trouva en présence de la nerveuse créature « qui joignait à l’âme la plus sensible la santé la plus frêle et la plus délicate »,