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PHILOSOPHIE.


Falconet, l’année où il avait achevé l’Encyclopédie, si chaudes et si vibrantes, variations intarissables sur le Non omnis moriar du poète. Il avait cru que « le sort de l’homme est d’être plus heureux en embrassant la nuée qu’entre les bras de Junon » ; mais d’avoir joui passionnément de la nuée et d’avoir même recueilli les sourires de Junon, il n’avait gardé qu’une courbature dans tous ses membres. Au moment de rentrer en France, il prévoit exactement qu’« il a encore une dizaine d’années au fond de son sac[1] » ; se raidissant contre le mal qui s’est abattu soudainement sur lui, il se promet encore de les employer, certain qu’il est que « les fibres du cœur ne se sont pas racornies avec l’âge » ; et, en effet, il se remettra au travail. Son séjour en Hollande et les premiers temps de son retour à Paris seront pour lui l’été de la Saint-Martin ; à la Haye, en moins de trois mois, il réfute l’essai d’Helvétius sur l’Homme ; rentré dans son grenier, il achève ses notes sur la physiologie et rédige le Plan d’une Université dont les meilleures pages appartiennent toutefois à une époque antérieure. Quelque chose pourtant est comme brisé en lui. Une déclamation outrée compense mal l’accent pénétrant de sincérité qu’il ne retrouve plus ; la pensée ne jaillit plus de son cerveau. Décidément ce grand ouvrier aura trop présumé de sa machine. Pendant quarante ans de suite, sa fournaise toujours rouge des charbons sans cesse

  1. La Haye, 3 septembre 1774, à Mlle Volland.