Page:Reinach - Diderot, 1894.djvu/82

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
74
DIDEROT.


le dictionnaire des sciences et des arts réussissait auprès du public ; c’était la première fois qu’on lui présentait un répertoire de toutes les connaissances humaines ; chacun, après l’avoir feuilleté, se croyait le plus savant homme du royaume. Et ce mérite, sans doute, est réel ; bien que l’œuvre de tant de mains soit fort inégale, que nombre de questions soient faiblement traitées et que l’ensemble de l’ouvrage, à part deux ou trois douzaines d’articles, n’offre plus qu’un intérêt historique, l’Encyclopédie de Diderot reste, même aujourd’hui, le modèle et le prototype de tous les ouvrages du genre. Pourtant le véritable mérite des encyclopédistes, leur titre de gloire devant la postérité n’est pas là : il est dans le branle qu’ils ont donné à leur siècle et, par lui, à l’humanité elle-même.

Monument plus vaste que grand, chef-d’œuvre avorté, monstre sans proportions, Évangile selon Satan, Babel vite écroulée, que n’a-t-on dit de l’Encyclopédie et, parfois, avec raison ? Diderot d’ailleurs avait pris les devants sur toutes les critiques et personne, dans l’article Encyclopédie, n’a parlé avec plus de sévérité de son œuvre, même avant la défection de d’Alembert et l’affreuse mutilation des libraires. « Ici, écrit-il, nous sommes boursouflés et d’un volume exorbitant ; là, maigres, petits, mesquins, secs et décharnés. Dans un endroit, nous ressemblons à des squelettes ; dans un autre, nous avons l’air hydropique. Nous sommes alternativement nains et géants, colosses et pygmées : droits, bien faits et