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L’ENCYCLOPÉDIE.


proportionnés ; bossus, boiteux et contrefaits… » Et tout cela est exact ; et évidemment le monument s’est vite effondré, à peine quelques pans de murailles et quelques colonnes restent debout, l’herbe couvre depuis un siècle les mille pierres émiettées qui jonchent le sol ; mais l’âme encyclopédique a survécu à l’Encyclopédie. L’esprit qui animait cet édifice d’un jour n’a pas cessé de souffler sur le monde, et partout où il a passé, il a vivifié tout ce qui mérite de vivre.

Cet esprit, quel est-il ? Tout simplement celui de la liberté. Non pas, sans doute, qu’il se soit révélé d’abord dans toute sa force ; il n’est au début que le vieux scepticisme philosophique, peu différent de celui de Montaigne ou de Bayle, curieux de vérité et déjà impatient de tout dogme imposé, négatif surtout et plus railleur que créateur. Mais les obstacles mêmes qu’il rencontre et les résistances qui lui sont opposées, non seulement lui révèlent bientôt toute sa puissance, mais surtout développent avec une rapidité qui tient du prodige tout ce qui est naturellement en lui. L’esprit de libre examen ne s’était appliqué jusqu’alors, à ses rares éveils et à de longs intervalles, qu’à un petit nombre de croyances ou de préjugés ; il soufflait sur la métaphysique, s’arrêtait devant la théologie, ignorait le reste. Cette fois, au contraire, et pour la première fois, la conception même de l’œuvre encyclopédique veut que, s’élevant toujours plus haut, il emplisse l’atmosphère tout entière. La loi