Page:Reinaud - Mémoire sur le Périple de la mer Érythrée.djvu/13

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pas un argument suffisant, et que le mot empereurs pouvait désigner les empereurs en général ; la remarque est juste ; mais* ainsi qu’on le verra, l’argument dont je parle n’est pas le seul[1].

Quoi qu’il en soit, me voilà seul responsable de l’opinion que je vais proposer. Le parti que je prends est d’autant plus hardi, qu’un déplacement de la date du livre entraîne un déplacement de tous les faits qui y sont présentés comme contemporains. Cette situation m’oblige à reprendre un à un tous les faits en question, et à montrer qu’ils s’adaptent mieux à l’époque que j’ai adoptée qu’à toute autre. En général, ces faits appartiennent à des pays et à des temps sur lesquels la science n’offrait naguère que des ressources insuffisantes. Pour quelques-uns l’on pouvait également soutenir le pour et le contre ; mais, grâce à des découvertes récentes, la plupart sont devenus susceptibles d’être envisagés sous leur vrai jour, et il est permis, quant à eux, de prendre un ton affirmatif, ce qui suffit pour entraîner les autres.

La question est belle ; c’est une des plus belles que puisse aborder la science actuelle. La date du Périple une fois dé-

  1. Il vient de paraître (1863) un ouvrage intitulé, Le nord de l’Afrique dans l’antiquité grecque et romaine, et dont l’auteur, M. Vivien de Saint-Martin, se prononce vivement pour l’opinion de M. Ch. Müller. ( Voy. pages ig5 et suiv.) M. Vivien, pour la côte occidentale de la mer Rouge et la côte du Zanguebar, a eu à mettre en présence le récit de Ptolémée et celui du Périple, et il est parti de l’idée que non-seulement Ptolémée est postérieur à l’auteur du Périple, mais qu’en écrivant il avait le Périple sous les yeux. Or le récit du Périple est presque d’un bout à l’autre la rectification de celui de Ptolémée. (Voy. p. 282 et suiv. p. 474 et suiv.) À moins de vouloir dire que Ptolémée a presque tout brouillé à plaisir, on est forcé d’admettre que cet illustre géomètre, qui ne paraît pas être jamais sorti de son pays, n’avait eu à sa disposition que des renseignements défectueux, et que l’auteur du Périple, venu après lui, tout en respectant la mémoire de son prédécesseur, profita de sa position pour suppléer à ce qui avait manqué jusque-là : par là, les deux réputations sont sauvegardées. (Voy. ci-après, p. 38.)