Page:Reiset - Mes souvenirs, tome 1.djvu/274

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ne s’en irait jamais. » Il ne me cacha pas qu’il avait une faim canine. Je me levai tant bien que mal dans mon léger costume de nuit et j’allai chercher mes vêtements dans une chambre à côté. Le duc de Savoie m’avait suivi en riant : il me fit la plaisanterie de se saisir d’une de mes bottes. « Je vous tiens par un pied, » dit-il, pendant que je m’habillais auprès du feu. Mon domestique s’était couché ; il était une heure du matin. J’allai chercher moi-même dans ma salle à manger tout ce que je pus trouver pour le rassasier et tous deux, après avoir mis le couvert, nous nous établîmes au coin du feu, mangeant, buvant et riant comme deux jeunes hommes de même âge, n’ayant pas encore tous les soucis de l’avenir. Il soupa de bon appétit, il ne mangea pas, il dévora, en se servant de ses mains pour avaler la moitié d’une poularde au riz que j’avais trouvée à lui offrir.

Puis, la conversation s’engagea naturellement sur la situation politique du Piémont. On était à la veille d’une nouvelle rupture avec l’Autriche, et tous les hommes qui ne se faisaient pas d’illusions prévoyaient quelles en seraient les suites désastreuses. Le duc de Savoie était de ce nombre et ses paroles étaient empreintes d’un sentiment d’anxiété et de tristesse. Comme je cherchais à l’encourager et à faire diver-