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Page:Reiset - Mes souvenirs, tome 1.djvu/275

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MES SOUVENIRS

sion à ces tristes pensées par la perspective du trône qui l’attendait, il me répondit : « Je ne crois pas que je serai jamais roi ; mon père est encore jeune et il n’abdiquera pas. D’ailleurs, par le temps de révolution où nous sommes, on ne peut plus compter sur la régularité des successions royales. Pour ma part, je ne me sens aucune disposition à devenir roi : ce ne serait qu’avec répugnance que je prendrais et porterais la couronne. »

Notre conversation se prolongea bien avant dans la nuit, puis le duc se retira tout seul comme il était venu. Le lendemain, quand je revis Ludolf, il me demanda ce que c’était que le marchand de la veille et quelles affaires si pressantes j’avais eu à traiter avec lui. Je lui répondis, moitié sérieux, moitié riant, que j’avais réglé un compte que je ne pouvais remettre à un autre jour, M. Martin devant repartir dans la nuit. Plus tard, Victor-Emmanuel ayant succédé à son père Charles-Albert et les relations diplomatiques ayant été rétablies entre la Sardaigne et le royaume de Naples, je me trouvais avec Ludolf à la cour. Me montrant le roi, il me dit : « Voilà M. Martin, le fameux marchand. » La barbe postiche du duc de Savoie ne l’avait pas tellement défiguré que Ludolf ne l’eût reconnu la première fois qu’il lui fut présenté.