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Relation Hiſtorique

C’étoit une peine plus affligeante pour les parens, de forcir les morts des maiſons, & les porter dans les ruës, que de les avoir ſecourus dans leur maladie. Quelque chere que nous ſoit une perſonne, on ne peut plus en ſuporter la vûë dès qu’elle eſt morte ; on ne ſouffre qu’avec peine, pour ne pas dire avec horreur, l’aproche d’un cadavre, & encore plus celle d’un cadavre peſtiferé ; il étoit inutile d’attendre que quelqu’un, par charité ou par interêt, vînt vous delivrer de ce triſte ſoin, & quand on avoit gardé un cadavre un ou deux jours, il falloit enfin, malgré qu’on en eût, ſe faire une cruelle violence, & forcer la nature à lui rendre encore ce dernier devoir. Le pere le rendoit au fils, le fils au pere, la mere & les filles étoient forcées à ſe le rendre reciproquement ; les uns les portoient les autres les traînoient, & ceux qui ne pouvoient faire ni l’un ni l’autre, les jettoient par la fenêtre. Cruelle extrêmité, qui renouvelloit toutes les douleurs d’une mort que l’on pleuroit encore ; enfin ſi on trouvoit quelqu’un qui voulut ſe livrer au danger