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CHRONIQUE D’UN TEMPS TROUBLÉ

quand Saint-Remy me dit : « Il y a deux jumeaux. » — je ne compris pas lesquels. Ils ont dix-huit et dix-neuf ans, un air soumis, des corps robustes, des figures pauvres. Ils se présentent à leur père comme devant un chef, les pieds joints, les bras au corps.

— Leurs études sont achevées, dit Saint-Remy. Ils sont prêts à servir !

J’avoue que j’étais un peu gêné. Que leur dire ?… Tout le monde se sourit. Puis, ils se retirèrent : c’était le mieux. Un instant, je fus rêveur. Je me demandai : « Est-ce le nombre qui importe ? Évidemment… pour faire une armée… Tout cela est compliqué !… »

— La vie est si simple, dit alors Saint-Remy. Il n’y a qu’à se mettre toujours bien en face des problèmes. Voir de quoi il s’agit. À présent, refaire la France.

Je crois que j’ai eu un soupir.

— Ce n’est pas la première fois qu’on la refait ! dit Saint-Remy. On y arrivera.

Le téléphone sonnait. Il prit l’appareil. J’en profitai pour regarder autour de moi. Il n’y avait rien de beau, et j’en fus presque heureux, moi qui ne peux souffrir ce qui est laid, parce que je me dis : « Ce sont des gens purs. Rien ne les affaiblit ni ne les détourne… sauf le téléphone. Ici comme ailleurs, on ne peut pas causer ! » Mais Saint-Remy ne manifestait aucun énervement. Il était avec son interlocuteur invisible, aussi fin et fort qu’avec