Page:René Benjamin - Chronique d’un temps troublé, 1938.djvu/187

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
175
ACCIDENT

me pardonniez ! (La route allait atteindre Noisel et tourner. Une lanterne sauta de la voiture. Au lieu de pardonner, j’étais occupé par la vue des maisons qui s’approchaient et sur lesquelles nous allions sûrement nous écraser. Mme Saint-Remy les voyait aussi ; elle ferma les yeux en m’enfonçant ses ongles dans le bras.) Marie… ma bonne Marie, avant ces deux maîtresses, j’en ai eu d’autres ! Cher ami… si cher ami, je n’ai pas volé que vous ! J’ai mangé soixante-dix mille francs donnés par…

Une secousse atroce l’arrêta dans sa phrase. Il fut jeté sur sa femme. Un second soubresaut le rappliqua sur son strapontin ; on venait d’accrocher une charrette ; mais le cheval continuait. Qui allait-il tuer ? Cette femme qui passait : il l’évita. Un enfant devant une porte : il le frôla seulement. Allait-il donc se ruer contre cette boulangerie, à l’angle d’une rue ? Non… là, — miracle — il ralentit. Ses brancards cassés il se dressa, puis retomba, puis repartit, et tournant court, entra dans un garage, où brusquement, il s’arrêta !

C’était fini… et nous étions vivants ! Mais le cheval, la voiture, la femme, les hommes, tout tremblait… Des paysans accoururent, demandant : « Qui qu’est blessé ? » Personne d’abord ne répondit. Mme Saint-Remy tomba dans les bras qu’on lui tendait.