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Page:René Benjamin - Chronique d’un temps troublé, 1938.djvu/186

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CHRONIQUE D’UN TEMPS TROUBLÉ

monologue haletant, dramatique, où j’entendis ceci :

— Mes amis… mes bons amis, nous mourrons, c’est affreux ! Dans une minute, nous serons morts ! Ah !… (La voiture venait de sauter sur un tas de pierres.) Pardonnez-moi tous deux, je ne veux pas mourir sans vous dire la vérité ! Je vous ai trompés ! Je vous ai volés ! C’est horrible ! horrible ! Je suis un misérable !… (La route se mit à monter légèrement ; il sembla que la bête folle ralentissait un peu.) Mon ami, cher ami, ne pouvez-vous pas saisir les rênes ? (Je devais être livide, je ne bougeai pas ; on atteignait le haut de la côte ; c’était ensuite la descente sur Noisel.) Nous allons être fracassés !… … Mes amis !… Marie !… J’ai deux maîtresses… C’est atroce !… Je veux que tu me pardonnes… avant de mourir, Marie ! (Il était vert, de remords et de peur ; il étouffait au milieu de ses grimaces et se cramponnait à son bout de siège. Mme Saint-Remy, les yeux hors de la tête, le regardait, prise d’un tremblement. Le cheval, avalant l’espace, commençait à dévaler la côte.) Ah !… Ah !… continua-t-il. Quelle horreur ! Mon cher ami… votre chèque… je l’ai donné à ces deux femmes ! (Un paysan, levant les bras, venait d’essayer de courir. Il était déjà loin, derrière.) Marie, dis-moi que tu me pardonnes !… Cher ami, il faut que vous