Page:René Benjamin - Chronique d’un temps troublé, 1938.djvu/24

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libre, ayant quatre sous de côté, viens-je de commettre l’erreur de me réinstaller dans Paris ?… Est-ce pour quelques amis ? Je connais leurs tours et leurs détours. L’amitié vraie ne serait-elle pas celle qui fleurit dans le silence, portée par l’imagination ? Est-ce que la présence est utile ? Je me figure que j’aimerais de toute mon âme, au fond de la Vallée des Rois, certains amis de Paris.

Reste le plaisir si vif de rencontrer des femmes, qui s’habillent mieux que nulle part. C’est le dernier attrait positif de Paris. Vite courons aux Champs-Élysées ! Juste ciel ! Ils sont chaque jour en état de siège. Police et gardes mobiles. Que d’hommes en noir ! Comment se laisser vivre et rêver aux Trois Grâces, parmi ces gaillards-là ?

Mais je plaisante, et c’est plus grave qu’on ne dit. Paris, l’étonnant Paris devient inhabitable, parce que la France… va peut-être mourir ! Vraiment, dans mon angoisse, je me le demande ! Et je sais que c’est la question des faibles, des inquiets, des neurasthéniques. Peut-on toujours se séparer d’eux ? On meurt comme eux ; c’est justement de mort qu’il s’agit.

Je me doute, Hélène, qu’elle ne vous fait pas peur au milieu de vos sables où règne si peu de vie. Mais la France, elle, en avait tant !

Réfléchissons. Est-ce que tout ce qui faisait le prix, l’honneur, la séduction de la