Page:René Benjamin - Chronique d’un temps troublé, 1938.djvu/23

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par des avions. Paris regorge de chefs d’œuvre ? Avant qu’une guerre les anéantisse, ils sont déjà si compromis !… Paris autrefois avait des dômes, des tours, des clochers, qui dominaient et exprimaient une valeur spirituelle. Mais maintenant !… Huit, dix étages de matériaux. Les salles de bains montent plus haut que les églises ! Rien n’a plus de sens. Voilà un des faits dégradants de l’âge moderne. Et il s’est construit des quartiers aussi grands qu’une province, tout en maisons laides comme l’argent, de la forme des coffres-forts. Dire qu’on parle de la banlieue rouge ! Entre la ville, la vraie, celle de la Seine, et cette misère, il y a pis, l’horreur du capital, entassé à Passy, Vaugirard, Montmartre, Montrouge. Image étouffante de la ville moderne. On y vit en série ; ce sont des ruches ; l’homme s’est fait insecte !

Quelle métamorphose pour l’esprit ! Adieu le charme et la bonhomie !

Paris, si sensible, a été le plus atteint par l’affreuse déchéance du monde. C’était une ville d’abord aimable : commerce, théâtres, soupers, on savait acheter, surtout vendre, se mettre à table, se divertir. Hélas !… Personne ne reçoit plus ; autant de boutiques, autant de faillites ; et l’écran, où les histoires sont toutes en deuil, a remplacé la scène et l’éclat qu’y prenait la vie. Pourquoi étant