Page:René Benjamin - Chronique d’un temps troublé, 1938.djvu/36

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Et elle ajouta :

— Pourquoi que l’hôtel serait pas à nous comme à vous ?

L’œil me parut si bête ou si mauvais que je ne répondis plus ; je descendis. Mais en descendant, je me disais déjà : « J’ai cru qu’un hôtel, c’était le rêve. Il y a peut-être là une erreur ! » Je voyais des chambres ouvertes, et des valets de chambre enfoncés dans des fauteuils. Au milieu du hall, en bas, les cuisiniers feuilletaient des revues illustrées.

Près de la « réception », j’aperçus un Anglais à qui j’avais déjà parlé. Cet homme, qui a la couleur des maisons de briques dans son pays, semblait dans une extrême tension. Il vint au-devant de moi ; ses sourcils roux s’élevèrent ; et il me dit avec gravité :

— Je ne connais pas de malchance comparable à la mienne ! Je dormais, je rêvais : le patron m’éveille par téléphone pour m’annoncer que je n’aurai aucun breakfeast ! Et en dormant j’avais trouvé le secret du monde !… J’avais compris l’énigme de l’amour et de la mort !

Je fis : « Oh ! » Il dit : « Oui !… Mais j’ai tout reperdu !… »

Puis, avec un geste navré :

— Quoi de plus délicat que le mystère ! L’homme prédestiné pour le découvrir devrait être entouré d’infinies précautions… Est-ce que les grévistes s’occupent de ces choses !