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Page:René Benjamin - Chronique d’un temps troublé, 1938.djvu/83

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Puis très vite, elle s’est mise à porter la tête trop haut, pour rien, et à s’envoler vers des absurdités.

Son grand malheur est de n’avoir pas suivi son naturel, et d’avoir cherché, comme tant d’autres, un rôle à jouer. Elle est entrée dans un personnage, qui, hélas ! n’est pas une personne. Agitation, désordre, fatigue pour elle et nous. Elle croit qu’en s’agitant elle agit, qu’en parlant elle pense, qu’en recevant elle prolonge une tradition. Et elle est toujours comme si elle échappait à un incendie !

Ses filles passent examens sur examens. Elle y voit une sécurité. Pauvres petites ! Elles n’étaient ni belles ni laides : elles deviennent laides. Que de diplômes elles entassent ! L’une pour l’instant est à l’école du Louvre ; l’autre fait de la sténo-dactylo. Comme toutes leurs amies. Toutes sont sténo-dactylo ou à l’école du Louvre. Dans quel but ? Si je m’enquiers, ma sœur me répond :

— Elles seront armées pour la vie !

Et si je cause avec les petites, je trouve de la bonne volonté, du courage, une étonnante soumission à leurs maîtres et aux livres, pas le moindre sens poétique de la vie, de petites idées courtes, compactes, où ne circule aucun air.

Bien entendu, ma sœur n’a pas d’appartement. Elle vit dans un studio, c’est-à-dire