Page:René Benjamin - Chronique d’un temps troublé, 1938.djvu/84

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un hall, sur lequel ouvrent comme des tiroirs des chambres minuscules, où il y a, paraît-il, des lits qu’on remonte contre les murs.

Dans son hall, elle reçoit des hommes de lettres, des banquiers, des diplomates, tous les porteurs de fausses nouvelles. Elle promène de l’un à l’autre une curiosité que rien n’assouvit. Elle leur arrache des jugements, des prédictions. Chacun étale ses vanités, son scepticisme d’abord, brusquement son âpreté. Cette société française, qui s’est perdue, ne se retrouve pas. Les hommes sont aigris ; ils n’en peuvent plus ; tout à coup par surmenage, défaillance physique, les voilà prêts à s’égorger !

Ma sœur, joignant les mains, les supplie de se ressaisir, de sauver le pays. On l’entend s’écrier :

— Il faut trouver quelque chose ! La France est le pays des croisades !

— Les croisades ! a répliqué l’autre jour, dans une pourpre colère, une femme du monde qui, divorcée, essaye de tenir une librairie près de l’Étoile, les croisades, ma pauvre amie, n’ont été qu’une affaire financière !

— Comment ! Comment ! a dit ma sœur, qui bat des ailes dans ces moments-là. Expliquez-moi ! Oh ! c’est affreux ce qu’on découvre !

Si j’étais le Diable, je m’amuserais parmi