Page:René Benjamin - Chronique d’un temps troublé, 1938.djvu/96

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
84
CHRONIQUE D’UN TEMPS TROUBLÉ

un homme, une femme, à qui il redonnait de la force, en se déchargeant de la sienne. Une suite de miracles !

À la vérité, il avait une tête ténébreuse, bossuée, d’une peau grenouillarde, qui aurait dû mettre en défiance toute sa clientèle, si elle n’était arrivée hypnotisée. Ma sœur entra comme les autres, en extase : elle se sentait déjà pénétrée par de mystérieux envois. Il recevait dans un salon doré, dont les meubles avaient une allure foraine. Au mur, d’affreux tableaux représentaient des paysages du Bon Dieu, interprétés par des couleurs chimiques. Il demanda à peine à ma sœur de quoi elle souffrait. Il la fit asseoir sur une chaise, se mit debout devant elle, croisa les bras, la regarda fixement. Pas dans les yeux ; sur le ventre : elle se sentit rougir. Comme il restait muet, à deux mètres, dans une attitude correcte, elle commença à se dire : « C’est la chaleur des ondes… que je ressens. » Au bout de quelques instants, elle éprouva du bien-être. Il dit d’une voix timide : « Vous apercevez-vous de quelque chose ? » Elle répondit : « Je crois bien ! » — Alors, il recula pour que le fluide perdît de sa force, et elle ferma les yeux pour mieux sentir ce qui lui arrivait.

Il lui sembla que ses entrailles étaient dans un état bienheureux, et son cœur commençait de connaître la douceur des sentiments apaisés.