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Page:René Benjamin - Gaspard, 1915.djvu/161

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GASPARD

— Je vous reconnais ! Je vous reconnais ! C’est vous le suisse, l’affreux suisse qui a dévergondé Monsieur le Curé ! Vous avez mis une casquette, mais je vous reconnais. J’ai de bons yeux. Ah ! ah ! Et je vous tiens, mon bonhomme.

Les machines des deux trains sifflaient. Elle reprit, et elle avait de l’écume aux lèvres :

— Entendez-vous les chiens qu’on rappelle ? Ils vous mangeront le ventre !

Ses cheveux gris, épars, lui chatouillaient les joues. Elle les ramassa des deux mains, se dégageant les yeux :

— Ce qu’il est laid ! Je voudrais le mordre !

Mais Gaspard lui tenait les coudes, faisant : « Allons… Allons. » Le boueux dit :

— Moi j’ lâcherais ça. Tu vas t’ faire boulotter.

— En v’là une vieille rosse ! dit le livreur.

— El vous aussi, je vous reconnais ! chevrota la vieille, qui soudain se mit à pleurer. Vous êtes les mauvais enfants de chœur, qui avez bu l’argent au lieu de le donner à Monsieur le Curé, et alors moi… je n’ai pas eu ma messe pour mon pauvre mari, et quand je m’en vais mourir, mon pauvre mari me dira : « Pourquoi n’as-tu pas fait dire ma messe ?… »

Le livreur se tenait les côtes.

— Dis donc, c’t’ un numéro ! Et j’ crois qu’elle nous engueule…