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GASPARD

étonnement qui l’immobilisa. Il se sentait entraîné, quoique défiant. Il pensait avec quelque estime : « Celui-là ne doit s’épater de rien. » Mais il se disait avec inquiétude : « C’est un ouvrier : il n’a pas de cravate. » L’esclave du papier timbré jugeait le peuple en liberté ; l’étude de petite ville contemplait le faubourg de la capitale.

— Eh, toi, le « monsieur », tu prends aussi un billet pour Berlin ? cria Gaspard.

Il tressaillit :

— Bien sûr !

Et soudain, il eut envie de le suivre, et de gagner son amitié.

Un de plus : Gaspard n’était ni gêné, ni content ; il ne s’aperçut même pas que l’autre se joignait à son cortège. Il avançait dans A… comme un homme familier avec les maisons et les rues. Vieilles connaissances : il était déjà, venu trois fois dans ce « trou », essayer son « déguisement de guerre », et il avait l’air de dire doucement : « Allons, la province, c’est nous : va falloir se grouiller. »

Au coin de la rue Saint-Éloi, il entendit :

— Tiens, mon homme débrouillard !

Il tourna la tête :

— Mon capitaine !… Ah, mon capitaine !… Comment qu’ vous allez, mon capitaine ?

— Et toi ?