Page:René Benjamin - Gaspard, 1915.djvu/28

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— Tu parles, fiston !

— Surtout en cette saison, où les femmes ont des corsages transparents.

— Ah, dis donc !

— Et que c’est fameux, le soir, de prendre un apéritif à la glace.

— Non, ah non… parle pas d’ ça ! J’ déserte !… Tiens, l’est cinq heures. Décampons : on va bouffer. J’ te paye à bouffer.

Et ils sortirent.

Ils prirent par la Grand’Rue, qui grimpe vers la Préfecture, et de loin ils aperçurent la chaussée montante, pleine de soldats. L’épicier Clopurte, lui-même, méditait devant sa porte, en uniforme, et la lumière très douce de cette soirée d’été, atténuant les tons neufs des pantalons et des capotes, il ne restait, pour les yeux, que la gaîté des couleurs vives, à la française, qui donnait à ce coin de ville paisible l’air de vivre une fête nationale. Devant la Préfecture, on s’écrasait pour une dépêche. Un curé, au premier rang, proposa de lire à ceux qui ne voyaient pas. On applaudit ; on fit silence ; et il commença d’une voix vibrante, roulant de gros yeux dans une face rose et encore jeune, qui faisait paraître étrange un dos de tête et des tempes couvertes de cheveux tout blancs, blancs comme neige, et si légers qu’ils s’agitaient pendant cette lecture émouvante : « L’Allemagne